Chapitres / Livre 1 (1994, 1997 et 2000) / L'historique du mouvement
On peut situer l'origine de l'approche fondée sur le déséquilibre inévitable des charges dans les usines au début des années soixante-dix lorsque quatre Israéliens - Dr Eliyahu M. Goldratt, son frère Isachar Pazgal, Asaf Cohen et Avi Greenfield - se réunirent pour former la société Creative Output qui devait diffuser un logiciel appelé OPT.
Issus du milieu universitaire, ils ont pu repenser les problèmes de synchronisation de la production sans être gênés par les procédures industrielles traditionnelles. Cependant, en contrepartie, ils ont eu plus de difficulté à convaincre la communauté industrielle du bien-fondé de leurs idées. En effet, là où Taiichi Ohno a pu dire "voilà comment nous avons procédé chez Toyota", les fondateurs de l'approche n'ont pas pu prêcher par l'exemple.
À cette époque donc, les idées n'étaient pas présentées en tant que telles, mais à travers un programme informatique, ce qui a contribué à créer une association néfaste qui malheureusement persiste. Pourtant il est facile de les dissocier : d'un coté il y a la logique que l'on peut décrire par un ensemble de règles et de l'autre un programme pour exploiter la rapidité de calcul des ordinateurs et automatiser cette logique. Nous verrons de plus que rien n'empêche d'appliquer cette logique manuellement.
Il faut donc prendre soin de ne pas confondre les commentaires qui s'adressent à la logique et ceux qui visent le logiciel. Par exemple le logiciel contient depuis ses débuts un algorithme secret et complexe qui définit les séquences de production sur les ressources goulot - le "cerveau de OPT" - dont l'origine est réputée se situer dans les travaux universitaires de Goldratt concernant le comportement de cristaux lors de leur réchauffement. Il est gardé secret pour éviter qu'une société concurrente puisse le copier. Ainsi, si l'on rajoute le fait que ses performances en termes de rapidité et de précision de calcul sont assez extraordinaires et qu'il était vendu très cher, il est compréhensible que le logiciel ait acquis une réputation assez particulière à la limite du mystérieux.
Le style de "Eli" Goldratt suscita aussi de nombreux commentaires. Quand, au début des années 80, General Motors et General Electric notamment achetèrent et mirent en œuvre le logiciel OPT dans plusieurs de leurs usines, de nombreux experts s'intéressèrent a ce nouveau venu. Les réactions de l'époque sont particulièrement révélatrices ; tout en reconnaissant que les résultats obtenus par OPT étaient très impressionnants - une réduction de moitié des stocks souvent accompagnée d'une augmentation de débit et ce sans accroissement des dépenses de fonctionnement -, tous les analystes se sentaient obligés de commenter le caractère particulier de son principal protagoniste.
On souligne qu'il surprend par sa ferveur oratoire ; dans un article de International Management on le compare à l'évangéliste Billy Graham [Whiteside et Arbose, 1984]. Business Week, tout en reconnaissant les mérites de OPT, fait remarquer que selon certains l'obstacle majeur auquel Creative Output doit faire face est Goldratt lui-même et son excès de zèle [Powell, 1984]. Quant à la revue Fortune, elle conclut avec le commentaire suivant : "Dans tout marché nouveau et relativement naïf tel que celui des systèmes informatiques de gestion de production, un peu de mystère et des grandes promesses iront loin. Au fur et à mesure que le marché atteint sa maturité les clients deviennent plus exigeants vis-à-vis des performances des produits et moins tolérants de verve rhétorique. L'astuce pour tous ceux qui fournissent un tel marché est d'être suffisamment impertinent dans un premier temps pour attirer l'attention des clients, de fournir régulièrement un bon produit, et savoir quand réduire les gaz si l'on souhaite assurer sa pérennité." [Bylinsky, 1983].
Dans les années qui suivirent, les ventes du logiciel connurent des hauts et des bas. Quand Creative Output créa des filiales dans plusieurs pays (parmi lesquels la France) et que, simultanément, la société traversa une période de mévente, elle fit faillite, fut rachetée et restructurée en 1988.
À partir de cette faillite le mouvement se scinda en deux, ce qui l'affaiblit et créa une grande confusion.
D'un coté la société anglaise Scheduling Technology Group acquit les droits du logiciel OPT et reprit sa diffusion. Sa stratégie - en particulier un marketing plus classique - semble payante puisque les ventes ont été maintenues. Ainsi, une cinquantaine de sociétés réparties à travers le monde (en Europe, aux Etats-Unis et en Australie) l'utilisent aujourd'hui. Ceci dit, si l'on considère son infime part du marché des systèmes de gestion de production, on constate que le logiciel OPT demeure tout à fait marginal.
De l'autre coté Eliyahu Goldratt décida de se dissocier complètement de l'outil informatique, allant même jusqu'à déclarer, qu'en fait, le fameux algorithme secret était sans intérêt [International Management, 1987]. OPT étant une marque déposée et synonyme du système informatique dont il n'était plus le propriétaire, il fut obligé de trouver un nouveaux label pour ses idées : Theory of Constraints ou TOC.
En parallèle au logiciel, il y eut l'étonnante histoire d'un livre. En 1984, après les premiers succès de OPT, Eliyahu Goldratt publia The Goal pour propager ses idées [Goldratt et Cox, 1984]. Jugeant qu'un ouvrage classique n'intéresserait que les experts en gestion de production (et en s'inspirant paraît-il du format de la Bible), il opta pour la formule du roman avec la volonté de toucher un public plus large.
Sa tactique réussit au-delà de ses espérances puisque son livre connut un énorme succès, vendu à ce jour à plusieurs centaines de milliers d'exemplaires de par le monde et traduit dans une dizaine de langues (la version française s'appelle Le But [Goldratt et Cox, 1986]). Ce thriller industriel est devenu un bestseller et, comme le souhaitait Goldratt, a grandement contribué à la diffusion de cette approche.
En s'inspirant de la méthode suivie par le héros pour redresser la situation de son usine, des industriels partout dans le monde ont mis en œuvre ce qui y est décrit. Malheureusement il s'agit un peu d'un cadeau empoisonné. En effet, Goldratt avoue lui-même que ce roman ignorait plusieurs éléments cruciaux de l'approche. Schématiquement le roman expliquait comment démarrer une voiture et comment changer les vitesses mais il n'expliquait pas ni comment freiner, ni comment utiliser le volant...
Comme si l'existence d'un logiciel coûteux et curieux, un roman passionnant mais dangereux et une faillite ne compliquaient pas suffisamment la situation, Goldratt fit une volte-face à ce stade contribuant encore davantage à l'imbroglio.
Constatant que les lecteurs de son roman mettaient en œuvre "seulement" ce qui était décrit dans le livre, soit environ une moitié de l'ensemble des idées, il entreprit non pas la transmission de la moitié manquante, mais se lança plutôt dans un étrange discours cherchant à faire en sorte que chacun puisse réinventer l'ensemble de la TOC.
Il cherche, à travers une "Méthode Socratique", d'éduquer les industriels en posant les bonnes questions mais en ne fournissant aucune réponse. Ainsi chacun se sentira "propriétaire de l'idée" et la résistance au changement qui nous habite tous sera contournée.
Son deuxième livre, publié en 1990, n'est d'aucune aide. Goldratt n'explique aucunement ce qu'est la TOC, ni comment la mettre en œuvre.
Heureusement, à la même époque aux Etats-Unis, d'autres livres furent publiés exposant l'ensemble de ces idées (comme par exemple Synchronous Manufacturing [Umble et Srikanth, 1990]).
Plus récemment, en 1992, Goldratt a publié un supplément [Goldratt et Cox, 1992] qui comble la plupart des lacunes du roman d'origine. Il est donc enfin possible aujourd'hui de découvrir sous forme romancée l'ensemble des idées de Goldratt concernant OPT/TOC.
Son tout dernier ouvrage [Goldratt, 1994] est une suite directe du roman et confirme deux tendances : les techniques proposées ne concernent plus les problèmes de production mais, au contraire, sont censées pouvoir être utilisées pour tout résoudre, des problèmes conjugaux aux stratégies de niches de marché. D'autre part, elles ne sont que partiellement décrites. Le lecteur est invité à s'inscrire à des cours pour en savoir plus.
Comme c'est parfois le cas avec des inventeurs de génie, Eliyahu Goldratt a tendance à défendre ses idées avec force et parfois avec des simplifications extrêmes, ou à faire l'impasse sur les lacunes de son approche. Certaines de ses déclarations, tout à fait regrettables lorsqu'elles dénigrent les efforts de personnes pleines de mérites, lui ont valu quelques ennemis. Comment le prendre au sérieux lorsqu'il clame, par exemple, que Taiichi Ohno ne s'est jamais posé la question de savoir pourquoi le Juste A Temps marchait si bien ? [Goldratt, 1988a, p.29].
Les idées de l'école déséquilibriste ont souvent été présentées de manière agressive. Il fallait tuer les comptables, le MRP ne valait plus rien, les Japonais ne savaient pas se focaliser sur leurs vrais problèmes...
Nous voyons les choses tout autrement. Ni les ingénieurs-conseils, ni les industriels ne peuvent se permettre d'adhérer à un seul clan et d'ignorer ou de dénigrer tout ce qui se fait par ailleurs. Petit à petit le tri se fait entre ce qui marche et ce qui ne marche pas. Il s'en dégage certaines règles de base qui serviront de fondations aux organisations industrielles du futur.
Nous ne présenterons pas le Management Par les Contraintes comme un concurrent de l'approche japonaise ou du MRP mais plutôt comme une thèse complémentaire. Nous soutiendrons, il est vrai, que le MPC permet d'améliorer les performances obtenues par des entreprises utilisant les autres approches, mais nous ne manquerons pas non plus de souligner ce que les autres approches peuvent apporter au MPC.
C'est avec cette idée de synthèse à venir que nous présentons l'approche du Management Par les Contraintes.
Parmi les adeptes du déséquilibre, que ce soit la méthode OPT ou la TOC, personne n'a encore expliqué quelle répartition des capacités devait être recherchée, ni même quelle ressource devait être la contrainte. Sans répondre à ces questions, on peut douter des règles qui ont été proposées pour orienter les investissements d'une usine, car comment prétendre qu'en investissant sur telle ressource plutôt que sur telle autre, nous évoluons dans le bon sens ?
Face à un tel vide il est normal que les industriels aient été circonspects, et ce malgré les améliorations indéniables et spectaculaires que l'on peut obtenir en gérant une usine en fonction du déséquilibre existant. Les résultats ne pouvaient que plafonner laissant les industriels dans une impasse. Les "Goulots Baladeurs" que subissent les usines gérées de manière traditionnelle se déplaceront beaucoup plus lentement si l'on adopte la méthode OPT ou la TOC, mais si l'on n'identifie pas le déséquilibre à rechercher - la bonne contrainte et son entourage de non-contraintes - on subira toujours une succession de différents déséquilibres.
Selon nous c'est ce vide fondamental qui est la principale cause de l'insuccès de l'approche déséquilibriste. C'est pourquoi, nous estimons que le cœur du Management Par les Contraintes est la recherche du bon déséquilibre. Il ne faut plus subir le déséquilibre mais l'exploiter et en faire un avantage concurrentiel ; trouver le bon déséquilibre, tel est l'objectif du Management Par les Contraintes.
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