Management Par les Contraintes – Philip Marris

Chapitres / Livre 1 (1994, 1997 et 2000) / Introduction

Introduction

Le Management Par les Contraintes est une méthode de gestion industrielle fondé sur la distinction entre deux types de ressources dites "goulots" ou "non-goulots"

L'idée de base est très simple. Si l'on représente un processus de production par une série de cuves à travers lesquelles coulent les produits, la notion de "goulot" ou de "contrainte" devient évidente. Ce sont les goulots qui limitent le flux de sortie. Augmenter leurs diamètres revient à augmenter le débit de l'ensemble, ce qui n'est pas le cas pour les "non-goulots".

On dit d'une telle chaîne de production qu'elle est déséquilibrée : les ressources (les machines ou le personnel) effectuant les différentes opérations n'ont pas toutes la même capacité. Ce qui distingue le Management Par les Contraintes des autres approches industrielles, c'est qu'il soutient que le déséquilibre est devenu, non seulement inévitable - d'où la nécessité de reconnaître les contraintes et de gérer l'activité en fonction du déséquilibre existant - mais également souhaitable. Il faut par conséquent identifier le bon déséquilibre et investir de manière à s'en approcher le plus possible

Il s'ensuit que là où auparavant toutes les ressources avaient une égale importance, il faut adopter une vue duale : faire le tri entre ce qui devrait être le point focal de l'organisation (les contraintes) et le reste. Si l'on admet que les non-goulots ont un excédent de capacité, il n'est plus nécessaire de rechercher le plein emploi de chaque machine. On peut se défaire des optimums locaux qui empêchent de synchroniser l'activité. L'entreprise pourra décupler ses performances en adaptant ses règles à la réalité, un univers où le déséquilibre est inévitable.

 

Un transfert des investissements des stocks vers les capacités

Les entreprises doivent constamment accroître leur capacité de répondre à la demande, ce qui devient chaque jour plus difficile au fur et à mesure que les fluctuations augmentent et que la visibilité diminue.

Dans un tel contexte la meilleure stratégie est la réduction des stocks, non seulement parce que ces derniers représentent une grande inertie, mais aussi parce qu'ils empêchent les améliorations des produits et des processus de production en dissimulant les causes des problèmes. De plus, dans un monde où l'on n'est plus sûr de vendre ce que l'on a produit, les stocks sont synonymes de risque ; ils deviennent un passif plutôt qu'un actif.

On observe ainsi un transfert des investissements des stocks vers les capacités. Mais quels principes guident cette évolution ? Comment choisir, lors de la construction d'une usine, entre deux solutions, la première coûtant 10 millions d'euros et fonctionnant avec 10 jours de stocks et la deuxième 9 millions d'euros et 50 jours de stocks, toutes choses étant égales par ailleurs ? Selon l'objectif absolutiste de zéro stock on optera pour la première solution tandis que le raisonnement orthodoxe mènera à la conclusion inverse.

Que l'une ou l'autre de ces options soit retenue, cette usine sera-t-elle équilibrée ? Les ressources auront-elles toutes la même capacité ? Officiellement tous répondront par l'affirmative - après tout, les excédents de capacité coûtent de l'argent. Mais comment se fait-il alors qu'aujourd'hui aucune usine ne soit en fait équilibrée ?

 

Le déséquilibre est devenu inévitable

Le raisonnement orthodoxe voudrait que les usines soient équilibrées. Or pour ce faire il faut, d'une part, jongler avec l'échelonnement des tâches - les avancer ou les reculer pour mieux étaler l'activité - ce qui nécessite des cycles de production longs et donc des niveaux de stocks excessivement élevés, et d'autre part, être capable d'adapter les capacités des ressources aux besoins du moment. Or les fluctuations sont devenues trop importantes et trop rapides pour cela, et nos ressources ne sont pas assez flexibles.

Les usines subissent une multitude de facteurs déséquilibrants qui peuvent avoir pour source les fluctuations du marché, des problèmes d'approvisionnement, le manque de fiabilité et de flexibilité des ressources ou encore des règles de gestion désuètes. Ensemble ils créent des déséquilibres que l'on peut décomposer en deux types : temporaires et structurels.

En Occident, une des causes principales des déséquilibres temporaires réside dans les tailles des lots, car l'approche traditionnelle issue des marchés porteurs d'après-guerre préconise des lots de taille importante pour réduire le coût relatif des lancements. En traversant l'usine, ces lots surchargent les machines là où ils se trouvent et créent des ruptures d'alimentation sur d'autres ressources les attendant. Les goulots, qui semblent être différents d'un jour à l'autre, sont des "goulots baladeurs".

Ce qui est moins avouable et donc plus méconnu, ce sont les déséquilibres structurels des industries (les vraies contraintes et leur entourage de ressources ayant des excédents de capacité) qui sont cachés par les déséquilibres temporaires, dissimulés derrière les monceaux d'en-cours et les objectifs vétustes de productivité locale.

La Phase 1 du Management Par les Contraintes (MPC) consiste à faire face à ce déséquilibre, à en avouer l'existence et à adapter les règles de gestion en conséquence.

 

À la recherche du bon déséquilibre

Il faut ensuite se lancer à la recherche du bon déséquilibre - la Phase 2 - remplacer l'équilibre imparfait et instable qui découle des raisonnements classiques par un déséquilibre stable et plus performant. Pour cela il faut répondre à trois différentes questions. Quelle devrait être la contrainte de l'entreprise ? Quelle devrait être sa capacité ? Quelle répartition d'excédents de capacité devrait l'entourer ?

On opère un transfert des investissements et des dépenses des stocks vers les capacités en le modulant selon les différents coûts des excédents de capacité des ressources et des stocks. Certaines ressources coûtant plus cher que d'autres et les stocks coûtant plus ou moins cher selon le stade auquel ils se trouvent, on obtient ainsi une entreprise correctement déséquilibrée.

Ainsi, de prime abord, la bonne contrainte sera la ressource la plus chère mais il faudra aussi prendre en compte le besoin en stocks divers des différentes ressources. Il est par exemple déconseillé de choisir une contrainte aux performances peu fiables alors qu'un éventuel manque de flexibilité (un important temps de changement de série) n'est nullement une contre-indication. Pour les non-goulots, leur excédent de capacité sera surtout déterminé par leur coût (une ressource peu coûteuse aura vraisemblablement un excédent important).

 

Les liens avec l'approche japonaise et le MRP

Si Henry Ford, Alfred Sloan et Frederick W. Taylor sont les pères de la production de masse, Sakichi, Kiichiro et Eiji Toyoda, de même que Taiichi Ohno sont les concepteurs de l'approche industrielle qui doit nécessairement la remplacer, car elle est mieux adaptée, non seulement à l'environnement nouveau dans lequel l'offre industrielle est supérieure à la demande mais, qui plus est, à la conjoncture de croissance économique faible.

Le système Toyota cherche à synchroniser l'activité pour que tout se passe "Juste A Temps". Pour ce faire, il utilise diverses techniques dont la plus connue est le Kanban. Le Management Par les Contraintes a le même objectif mais sa technique de synchronisation est différente.

 

Le MPC : des flux asservis

Pour synchroniser la production, le MPC se fixe un double objectif ; maximiser le débit tout en minimisant la quantité de produits en cours de fabrication. On recherche dans un premier temps la meilleure façon d'exploiter les contraintes en fonction de la demande, puis on active les autres ressources de manière intermittente afin d'alimenter "juste à temps" les contraintes, évitant ainsi que des en-cours ne s'accumulent dans l'usine. Il en résulte un débit facturable maximum pour un niveau d'en-cours - et donc des cycles de production - minimum, et le respect des délais est assuré grâce à la bonne séquence des opérations sur les contraintes.

Le Management Par les Contraintes nous donne la possibilité d'accorder aux goulots le traitement de faveur qu'ils méritent et de réduire les stocks en utilisant les excédents de capacité des non-goulots pour absorber les aléas et les autres sources de fluctuations. Dans un premier temps ces excédents seront ceux qui émergeront lors de l'audit du déséquilibre existant, puis petit à petit ils seront redistribués pour s'approcher du déséquilibre optimal.

 

Produire Juste A Temps, oui mais...

Si toutes les approches cherchent à orchestrer l'activité pour que tout se passe ni trop tôt ni trop tard, deux choses les en empêcheront : les contraintes qui obligent à avancer ou reculer des tâches ou à effectuer des regroupements, et les fluctuations aléatoires provenant aussi bien de problèmes in­ternes que de la demande du marché. Le Management Par les Contraintes est en quelque sorte le "oui mais" du Juste A Temps puisqu'il place au centre de sa réflexion tout ce qui empêche d'atteindre cet objectif irréalisable.

 

Le Juste A Temps : partout et tout de suite

De nombreuses entreprises qui ont cherché à évoluer vers un fonctionnement Juste A Temps ( JAT ) ont découvert que la transition pouvait être lente et douloureuse. Nous verrons que le MPC est plus rapide à mettre en œuvre que d'autres techniques JAT , car il permet d'accélérer les flux sans poser comme condition a priori l'amélioration de la flexibilité et de la fiabilité des équipements. C'est pourquoi il est particulièrement intéressant pour les entreprises défaillantes dans ces domaines.

Le Kanban, conçu par Toyota, est surtout pertinent aux environnements de fabrication répétitive comme l'industrie automobile alors que le Management Par les Contraintes, dont le développement ne fut pas cantonné à un seul secteur industriel, donne la possibilité de viser le Juste A Temps là où on l'aurait cru impossible ; production en continu ou discontinu, grandes ou petites séries, fabrication non répétitive...

 

Un processus d'amélioration continu

En mettant en œuvre le MPC, la compétitivité sera très rapidement améliorée et de manière conséquente. Cependant pour ne pas se faire dépasser par ses concurrents, il faut un véritable processus d'amélioration permanent agissant sur les causes profondes des problèmes. Là où auparavant on avait des stocks de protection, on doit maintenant réduire les aléas. Là où aupa­ravant on avait des "lots économiques", on doit maintenant réduire les temps de changement de série. Là où auparavant on triait les pièces pour écarter les rebuts, on doit maintenant rechercher la cause des défauts et y remédier.

Le MPC crée un environnement pour agir en positionnant dans l'usine deux points de synchronisation qui protègent à la fois le débit et le respect des délais. De cette manière, les hommes et les femmes deviennent disponibles pour mener à bien les actions d'amélioration car ils ne sont plus saturés par des actions de "pompiers" : chasse aux manquants, réordonnancement, etc. Ces améliorations seront d'autant plus efficaces qu'elles seront focalisées par la vue duale sur les éléments qui contrôlent la performance globale et que les priorités seront établies en conséquence. Enfin, le déséquilibre que le MPC prône mène à maintenir des excédents de capacité qui serviront d'une part, à accélérer les flux en absorbant les fluctuations, et d'autre part, à rendre le personnel de production plus disponible pour se consacrer au processus d'amélioration continu.

 

Les différents types de contraintes

L'archétype de la contrainte d'une entreprise industrielle est la machine goulot, mais d'autres sortes existent. Si les contraintes se situent au niveau des approvisionnements ou dans les services qui conçoivent les produits par exemple, les tactiques à suivre doivent être adaptées en conséquence mais le raisonnement de base reste le même.

 

Si cette logique est si performante, pourquoi si peu d'industriels l'utilisent-ils ?

Le premier ouvrage traitant de l'impact des contraintes dans les entre­prises, The Goal (en français Le But), décrivait sous forme romancée la mise en œuvre d'une partie de ces idées. Si ce livre a connu un énorme succès de par le monde, le nombre d'entreprises gérées selon cette approche est encore très limité.

Une des raisons est sans aucun doute le caractère excentrique de celui qui est considéré comme le père fondateur de ce mouvement, le Docteur Eliyahu Goldratt auteur du "But". Le fait d'avoir choisi un roman comme moyen de diffusion est une idée brillante, mais n'est pas sans inconvénient ; il reconnaît lui-même que ce "thriller industriel" ne présente qu'un aspect de la logique et que la partie manquante est cruciale.

En fait, cette approche a souffert d'une histoire particulièrement trouble. Elle fut initialement liée au logiciel OPT qu'on tenta de vendre à un prix exorbitant mais que Goldratt juge aujourd'hui sans intérêt. Pour se démarquer du logiciel, il a choisi une nouvelle appellation : Theory Of Constraints (TOC).

Pour avoir suivi de près cette approche, observant ses évolutions, les réactions qu'elle suscitait, les diverses joutes oratoires pour et contre, ses échecs et ses victoires, l'auteur ressentait un malaise. Si certaines choses étaient acquises, notamment l'idée selon laquelle le déséquilibre était bel et bien inévitable, il était également évident que cette école de pensée avait des failles.

Nous avons donc décidé de faire le point et d'identifier les incohérences qui fragilisent cette approche et l'empêchent d'atteindre sa maturité. Chaque thèse ou affirmation a donc été démantelée, analysée et confrontée aux expériences industrielles de l'auteur en tant qu'ingénieur-conseil auprès d'entreprises françaises et européennes. Cette démarche nous a permis d'identifier un certain nombre d'erreurs, de confusions, de simplifications et d'omissions. Parmi celles-ci, il en est une qui prédomine clairement : les principes qui permettent d'identifier le déséquilibre optimal que devrait rechercher une entreprise n'ont jamais été précisés.

Il fallait donc premièrement un manuel de base exposant l'ensemble des composantes de la Phase 1, de la théorie à l'action, y compris les points faibles et les dangers, car les quelques ouvrages publiés ont tous traité ces idées de manière trop partisane ; or le MPC n'est pas la panacée. Deuxième­ment, il fallait concevoir la clé de voûte, la Phase 2, sans laquelle ce mouvement ne serait jamais plus qu'une méthode de dégoulottages successifs. C'est ce double objectif que nous avons fixé à ce livre.

 

Comment désigner ces idées : OPT, TOC ou MPC ?

Quel nom utiliser pour traiter ce sujet ? Le sigle OPT ne peut être retenu car il s'agit d'une marque déposée de la société qui diffuse le logiciel et qui porte ce nom. Quant au sigle TOC, il est lui aussi inutilisable car il serait associé à Eliyahu Goldratt et à sa stratégie qui ne recherche pas le bon déséquilibre.

Nous avons donc été obligés de choisir une nouvelle appellation - le Management Par les Contraintes, ou le MPC - d'autant plus que ce que nous présentons ici est à la fois plus et moins que la méthode OPT et la TOC. Moins, car notre analyse nous amènera à exclure certaines parties. Plus, car nous y apportons l'élément qui a toujours fait défaut : comment identifier et rechercher le bon déséquilibre structurel.

 

Structure du livre

La première partie du livre commence par résumer le contexte : comment l'âge d'or de l'après-guerre a endormi l'Occident alors que les Japonais développaient une autre approche bien plus performante. Ensuite, après avoir justifié la nature inévitable du déséquilibre, nous étudions pourquoi les précurseurs du MPC sont restés marginaux jusqu'ici, puis nous définissons le Management Par les Contraintes et identifions ses limites.

La deuxième partie construit pas à pas les deux volets de la théorie. Nous exposons d'abord comment gérer le déséquilibre existant d'une usine : nous développons les idées de base, la technique de synchronisation, comment améliorer les performances des goulots, la gestion du processus d'amélio­ration continu, les indicateurs de performance, comment prévoir et préparer l'activité, la comptabilité par les contraintes, et les différents types de contraintes que l'on peut rencontrer. Ensuite nous présentons les éléments permettant d'orienter les investisse­ments vers le déséquilibre souhaitable : comment identifier la meilleure contrainte et décider des excédents de capacité qui devraient l'entourer.

La troisième partie traite de la mise en œuvre ; ce qui permet d'illustrer le MPC et de le rendre plus palpable : comment, en fonction du type d'entreprise, déceler puis gérer le déséquilibre existant, et dans une deuxième phase, orienter les investissements pour l'améliorer.

La quatrième partie étudie les similitudes et les différences entre l'approche japonaise, le "MRP" et le Management Par les Contraintes.

 

Nota

Ce texte est une adaptation de l'introduction du troisième tirage du livre Le Management Par les Contraintes [Marris, 2000].

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